Une approche inédite dans des épilepsies pharmacorésistantes chez l’enfant

13 août 2024

Certaines anomalies du développement cortical sont à l’origine de crises d’épilepsies pharmacorésistantes chez l’enfant. Les travaux de Théo Ribierre publiés dans Nature Neuroscience ouvrent la voie vers une nouvelle approche thérapeutique contre les crises. Retour sur le parcours de ce chercheur et sur les résultats prometteurs de son étude.

Cette avancée a été obtenue par Théo Ribierre dans l’équipe « Génétique et physiopathologie des épilepsies familiales » dirigée par Stéphanie Baulac à l’Institut du cerveau à Paris.

Entrevue avec Théo Ribierre

Parlez-nous de votre parcours et de votre sujet de doctorat

J’ai suivi le Magistère européen de génétique à Paris, une formation très large qui m’a donné l’opportunité de faire des stages aux États-Unis. En Master 2, je me suis tourné vers la neurologie à l’Institut du cerveau, dans l’équipe de Stéphanie Baulac. J’ai apprécié sa vision intégrée, depuis la découverte d’un gène dysfonctionnel jusqu'à l'identification d'un traitement.

J’ai poursuivi par une thèse, financée par la FRM avec une prolongation en 4e année, qui a été déterminante. Mon sujet d’étude : la dysplasie corticale focale de type II (DCFII), une maladie neurodéveloppementale 1 due à des mutations somatiques dans certains neurones. Celles-ci induisent des anomalies circonscrites du cortex 2 et provoquent une épilepsie pharmacorésistante chez l’enfant. Le recours à l’ablation chirurgicale de la région touchée est actuellement la seule option thérapeutique.


Quels sont les résultats présentés dans votre publication ?

Grâce à une banque de tissus de patients traités par chirurgie – constituée par le laboratoire, en collaboration avec les équipes de l’hôpital de la Fondation Ophtalmologique Adolphe de Rothschild à Paris –, nous avions d’abord décrypté le mécanisme génétique particulier à l’œuvre dans les formes familiales de DCFII chez les sujets présentant une épilepsie. Il aboutit à l’hyperactivation de la voie mTOR, une voie de signalisation cellulaire centrale.

Nous avons découvert que les neurones humains mutés présentaient une signature moléculaire très spécifique de la sénescence 3 cellulaire. En traitant des modèles murins de DCFII, développés au laboratoire, par une combinaison de deux molécules sénolytiques 4 (le dasatinib et la quercétine, qui ciblent spécifiquement les cellules sénescentes et franchissent la barrière hémato-encéphalique 5), nous avons montré que la majorité des neurones mutés disparaissaient et, avec eux, les crises d’épilepsie ! Et ce, sans effet secondaire majeur. Or, les molécules utilisées ont déjà une autorisation de mise sur le marché, donc une stratégie de repositionnement 6 de ces molécules pourrait être envisagée pour traiter les patients et éviter la chirurgie.


Et aujourd’hui, où en êtes-vous ?

En 2021 je suis parti en postdoctorat à l’Université de Genève, où j’ai été recruté en 2023. Aujourd’hui, je suis responsable opérationnel et scientifique de la plateforme NeuroNA de neurosciences cellulaires humaines au Campus Biotech, et chercheur invité au sein de l’équipe du Pr Denis Jabaudon, au département des neurosciences fondamentales de la faculté de médecine de l’Université de Genève. Je développe mes propres projets sur les altérations génétiques en cause dans la schizophrénie et coordonne la plateforme, accessible à la communauté scientifique.

Je continue à collaborer avec l’équipe de Stéphanie Baulac, le sujet se poursuit dans son laboratoire et d’autres papiers devraient être prochainement publiés.

Ces avancées ont été possibles grâce à la FRM, dont le soutien a été inestimable pour investir ce sujet sur un temps long.

La publication : Ribierre T, Bacq A, Donneger F et al. Targeting pathological cells with senolytic drugs reduces seizures in neurodevelopmental mTOR-related epilepsy. Nat Neurosci 2024 : 27, 1125–36. Lien DOI.

Au cœur du labo

Légende : Marqueurs de sénescence en immunohistochimie (colorations brunes et bleue) dans les tissus chirurgicaux de 3 patients atteints de DCF II avec épilepsie (en haut). On peut voir les anomalies morphologiques des cellules mutées. En bas : patients témoins ne présentant pas d’épilepsie. Extrait de la publication.

Lexique

1 Une maladie neurodéveloppementale est une pathologie qui résulte d’anomalies de la formation du cerveau lors du développement fœtal.

2 Le cortex est le tissu situé en périphérie du cerveau.

3 Une cellule « sénescente » ne se multiplie plus, voit son fonctionnement modifié et sécrète des molécules particulières dans son environnement.

4 Des molécules visant spécifiquement les cellules sénescentes pour les détruire

5 La barrière hématoencéphalique est une frontière physiologique qui sépare le système sanguin du système nerveux central, le protégeant contre les agents pathogènes, les toxines…

6 Cette stratégie consiste à utiliser des médicaments déjà commercialisés pour traiter une maladie différente de celle de l’indication d’origine.

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