Neurologie : pourquoi s'intéresser à la synesthésie ?

29 septembre 2023

Marina Carrère d'Encausse, médecin, journaliste et marraine de la FRM, répond à vos questions de santé.

Longtemps vue comme une simple curiosité neurologique, la synesthésie est désormais considérée comme un véritable objet de recherche scientifique qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau.

Longtemps vue comme une simple curiosité neurologique, la synesthésie est désormais considérée comme un véritable objet de recherche scientifique qui permet de mieux comprendre le fonctionnement du cerveau.

Qu'est-ce que la synesthésie ?

« A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu », ces premiers mots du poème Voyelles d'Arthur Rimbaud sont l'une des belles illustrations de la synesthésie ! Du grec syn, union, et aesthesis, sensation, il s'agit d'un phénomène où plusieurs perceptions sensorielles sont liées de façon inhabituelle. Dans ce texte, les sons des voyelles renvoient à des couleurs, mais les associations peuvent exister entre sons et goûts, odeurs et formes, couleurs et textures. La synesthésie peut survenir de façon occasionnelle, lors de la prise de drogue ou à la suite d'une lésion cérébrale. Mais elle peut aussi exister sans lien avec une pathologie ou la prise d'une substance. On estime ainsi qu'entre 1 personne sur 20 et 1 sur 2 000 serait synesthète dans le monde. Comme cela concerne souvent plusieurs membres d'une même famille, cela suggère l'implication de facteurs génétiques.

Que se passe-t-il dans le cerveau des synesthètes ?

Pour comprendre les mécanismes neuronaux responsables de la synesthésie, les chercheurs se sont appuyés sur les techniques de neuro-imagerie. Mais malgré de nombreux travaux, on peine encore à identifier clairement les mécanismes à l'origine de ce phénomène. Pour certains experts, il s'agirait d'un défaut d'inhibition du réseau multisensoriel présent chez tous les individus : certaines aires du cerveau en charge du traitement de données complexes enverraient, à tort, des informations vers des zones traitant des indices beaucoup plus simples, comme la couleur ou le son, et feraient donc ainsi surgir des sensations additionnelles. Pour d'autres experts, il s'agirait plutôt d'une activation croisée : chez les synesthètes il existerait des connexions importantes entre les différentes aires sensorielles qui leur permettraient de s'activer l'une l'autre. Il est en fait probable que ces deux mécanismes soient impliqués à différents degrés selon le type de synesthésie.

Comment la synesthésie peut-elle nous éclairer sur le fonctionnement du cerveau ?

« Ce phénomène nous ouvre une fenêtre pour mieux comprendre les mécanismes de traitement et d’acquisition du langage écrit, ainsi que leurs bases neuronales », explique le Dr Fabien Hauw, neurologue. Avec Laurent Cohen, qui codirige l’équipe Neuropsychologie et neuroimagerie fonctionnelle à l’Institut du cerveau à Paris, il s’est intéressé à 26 personnes présentant une synesthésie de sous-titres : lorsqu’elles entendent des paroles, elles les retranscrivent automatiquement en écrits flottant virtuellement sous leurs yeux. Pour 75 % d’entre elles, ce phénomène est apparu pendant l’enfance, lors de l’acquisition de la lecture, et pour 70 % c’est un processus automatique et incontrôlable. Parfois la taille, voire la couleur, de ces sous-titres varie selon le type de discours entendu ou les émotions qu’il provoque. Certains font même des rêves sous-titrés ! S’appuyant sur des analyses réalisées sur ces personnes par IRM, les chercheurs estiment que « la synesthésie des sous-titres correspondrait à une forme de lecture inversée : au lieu de se contenter de traduire les mots écrits en sons, ces personnes convertissent automatiquement les sons en mots écrits ». Cela correspondrait à un développement atypique de l’alphabétisation qui pourrait être utile pour comprendre d’autres formes atypiques, comme la dyslexie.

Avec le Dr Fabien Hauw, neurologue et chercheur à l’Institut du cerveau, Hôpital de la Pitié-Salpêtrière AP-HP (Paris).

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