SLA : cibler tous les mécanismes de neuro-inflammation
11 décembre 2024
Thierry Lhermitte, parrain de la FRM, est allé rendre visite au neurobiologiste Alain Chédotal, à l’Institut de la Vision, à Paris. Avec son équipe, il étudie le développement des connexions cérébrales chez l’embryon et le fœtus.
Depuis 2018, il coordonne un grand projet, soutenu par la FRM : la construction du premier atlas des cellules de l’embryon et du fœtus humain.
Cette visite a fait l'objet de la chronique santé de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 24 juin dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse ! » sur France Inter, à (ré)écouter en replay.
Thierry Lhermitte : Alain Chédotal a d’abord étudié pendant une quinzaine d’années la mise en place des circuits nerveux qui contrôlent les mouvements des yeux. Et puis il s’est rendu compte que les connaissances en embryologie humaine étaient anciennes, puisqu’elles dataient du début du 20e siècle, au mieux des années 1960, et qu’elles n’avaient que très peu évolué depuis. On sait estimer le nombre d’étoiles dans l’Univers, mais on ne connaît pas le nombre de cellules dans le corps humain, ni même le nombre de types cellulaires différents ! Et encore moins au cours du développement embryonnaire. Ce qui veut dire qu’on n’a pas d’idée précise sur la manière dont un être humain se développe à partir d’une cellule unique. Même quand on fait des organoïdes, ces mini-organes qu’on fait pousser en trois dimensions en laboratoire, on ne sait pas s’ils reproduisent vraiment les étapes et l’organisation de ces organes, puisqu’on n’a pas de référentiel.
Ali Rebeihi : Et pourquoi c’est important de comprendre ça ?
Thierry Lhermitte : D’abord pour la connaissance pure, bien sûr, mais aussi parce qu’il existe beaucoup de maladies ou de malformations dues à des erreurs qui se sont produites au cours de la période embryonnaire.
Si on veut un jour essayer de les prévenir ou les traiter, il faut déjà comprendre comment se développe l’embryon, puis le fœtus.
Pour mémoire, on parle d’embryon jusqu’à 8 semaines de grossesse, après on emploie le terme de fœtus, c’est à partir de ce moment-là que les différences entre individus, notamment liées au sexe, commencent à apparaître.
Donc connaître précisément la construction de l’embryon cellule par cellule, puis du fœtus, c’est tout l’enjeu de ce grand projet, coordonné par Alain Chédotal pour l’Inserm.
Ali Rebeihi : Parlez-nous de ce projet.
Thierry Lhermitte : Tout est parti d’une technique inspirée d’un collègue allemand et que l’équipe a adaptée pour pouvoir observer l’embryon entier : le rendre transparent pour pouvoir l’observer. Classiquement on regarde seulement des coupes d’organes très fines au microscope, car la lumière ne traverse pas l’épaisseur des tissus. Mais ensuite pour reconstituer l’organisation 3D, c’est extrêmement complexe.
Ali Rebeihi : Comment c’est possible de rendre transparent un embryon ?
Thierry Lhermitte : Il faut jouer sur l’indice de réfraction de la lumière dans les tissus, c’est-à-dire la manière dont chaque type de molécule renvoie la lumière. L’eau, les lipides et les protéines, qui sont les constituants essentiels des cellules, réfléchissent et absorbent différemment la lumière.
Je vous passe les détails pour vous le résumer de manière très simplifiée : les chercheurs font une série de traitements chimiques qui permettent de conserver uniquement les protéines, qui constituent l’architecture en 3D des tissus, ce qui les rend transparents.
Et ensuite on applique des anticorps colorés qui ciblent de manière spécifique les protéines des différents tissus. Ce qui permet de marquer le type de cellules qu’on veut observer : les cellules musculaires, nerveuses, vasculaires, etc.
On peut alors visualiser ces cellules et les tissus qu’elles composent dans l’embryon entier, avec un microscope particulier.
Ali Rebeihi : C’est incroyable ! Et on peut rendre transparent n’importe quel organisme ?
Thierry Lhermitte : Absolument, sur le même principe.
Et aujourd’hui cette technique se développe aussi pour étudier des tissus malades.
Ali Rebeihi : Et ce microscope, de quoi s’agit-il ?
Thierry Lhermitte : C’est un microscope à feuillet de lumière, qui illumine l’échantillon dans un plan, plutôt que d’avoir juste un petit faisceau de lumière qui fait point par point. Il fait en quelque sorte des coupes virtuelles. Du coup on fait une espèce de scan de l’embryon, plan par plan, avec une caméra. Et ensuite on fait une reconstitution informatique en 3 dimensions. C’est très rapide, on peut reconstituer comme ça un cerveau de souris en 3 minutes !
Ali Rebeihi : Qu’a découvert l’équipe d’Alain Chédotal ?
Thierry Lhermitte : Il faut dire que ce n’est pas que son équipe, mais un consortium coordonné par lui, qui développe ce très gros projet. Il y a des équipes issues de différents instituts et hôpitaux à Paris, à Rennes, à Lille et à Lyon.
Et donc tous ces scientifiques ont commencé par appliquer cette technique au développement de la tête de l’embryon.
Je précise que pour cette étude, il s’agit d’embryons humains qui sont issus d’avortements et qui viennent d’hôpitaux. C’est évidemment très encadré, environ 90 % des femmes donnent leur consentement pour ces études.
Ils ont réalisé des images extraordinaires, correspondant à différents temps de développement, qui permettent de retracer étape par étape ce développement.
Ces images ont été publiées dans un grand journal scientifique en décembre 2023. C’était une première mondiale !
On y voit notamment tout le réseau des nerfs de la tête, les muscles, les os, etc.
Et comme ce sont des images numérisées en 3D, un casque de réalité virtuelle a été adapté pour zoomer, tourner le modèle, voir les moindres détails pour comprendre son organisation en 3D.
Il est aussi possible de « peindre » chaque muscle, chaque structure d’une couleur différente, comme on fait des retouches Photoshop, pour visualiser et analyser les données encore plus facilement.
J’ai pu essayer ce casque, c’est vraiment incroyable !
Ali Rebeihi : Et quelle est la suite de ce projet ?
Thierry Lhermitte : L'objectif est de réaliser le même travail pour tous les types de cellules de l’embryon et à tous les stades. Pour établir un véritable atlas en 4 dimensions (en tenant compte du temps) du développement humain.
Le consortium a aussi étudié le développement d’autres organes, les poumons par exemple, et les images sont aussi impressionnantes, on peut plonger dans toutes les ramifications qui forment l’arbre respiratoire !
Dans un premier temps, l’ambition est de faire une mise à jour des connaissances en embryologie, qui sont assez approximatives aujourd’hui. En fait ça ouvre sur une nouvelle vision de cette discipline !
Cette approche en réalité augmentée peut être très utile pour la formation des médecins.
Je ne l’ai pas précisé, mais l’équipe d’Alain Chédotal fait aussi de l’impression 3D à partir des données obtenues, ça donne des maquettes extraordinaires, qui peuvent aussi être des supports intéressants pour le grand public.
Ensuite, il va y avoir une partie du projet qui consistera à étudier les anomalies et les pathologies du développement. Avec l’objectif de comprendre les mécanismes, et éventuellement de les prévenir ou mieux, de les traiter. Là c’est du long terme bien sûr.
Ali Rebeihi : Et il faut préciser que toutes ces données, je crois, sont en libre accès pour les scientifiques du monde entier.
Thierry Lhermitte : Absolument, c’est ce qu’on appelle la science ouverte, entièrement vouée au bénéfice de la connaissance et de l’humanité !
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