SLA : cibler tous les mécanismes de neuro-inflammation
11 décembre 2024
23 avril 2024
Notre parrain, Thierry Lhermitte, est allé à la rencontre du professeur Guillaume Canaud, néphrologue à l’hôpital Necker-Enfants malades, à Paris. Il mène ses travaux dans une unité de recherche de l’Institut Necker et travaille sur une maladie déformante rare : le syndrome d’hypercroissance dysharmonieuse.
Cette visite a fait l'objet de la chronique santé de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 22 avril dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse ! » sur France Inter, à (ré)écouter en replay.
(Photo : Guillaume Canaud, Fabiola Terzi et Thierry Lhermitte)
Ali Rebeihi : Thierry expliquez-nous ce qu'est le syndrome d’hypercroissance dysharmonieuse. De quoi s’agit-il ?
Thierry Lhermitte : Ce sont des patients qui présentent une croissance exagérée de certaines parties du corps. Ça peut toucher n’importe quel type de tissu : des vaisseaux, de l’os, du muscle, etc. C’est dû à une mutation génétique qui n’est pas héritée des parents, mais qui apparaît durant le développement embryonnaire. 60 % des patients ont un gène muté qui s’appelle PIK3CA. Il existe d’autres gènes mutés, une trentaine ont été découverts aujourd’hui, mais toutes ces mutations conduisent la cellule à grossir anormalement et à se multiplier trop vite, ce qui aboutit à des tumeurs bénignes (ce ne sont pas des cancers car elles ne disséminent pas). À la naissance, les atteintes peuvent être très diverses en localisation, mais aussi en sévérité : ça peut être juste un doigt qui devient très gros, ce qui est déjà très handicapant. Mais certaines tumeurs internes peuvent comprimer des organes, parfois engager le pronostic vital. Le cerveau aussi peut être atteint ou les vaisseaux, ce qui peut entraîner des saignements permanents. La forme la plus sévère, c'est le syndrome de Cloves, avec des tumeurs qui touchent tous les tissus.
Ali Rebeihi : Donc c’est une maladie qui n’est pas facile à identifier du fait de ces symptômes très divers ?
Thierry Lhermitte : Exactement, beaucoup de gens sont en errance diagnostique, parfois ou soignés pour d’autres maladies. Jusqu’à récemment on ne recensait qu’une cinquantaine de malades en France. On sait maintenant qu’ils sont plus nombreux, avec des formes diverses. Quand on suspecte la maladie, on séquence les gènes sur une biopsie, un petit prélèvement de tissu atteint.
Ali Rebeihi : Et est-ce qu’il y a des traitements ?
Thierry Lhermitte : Non, jusqu’à maintenant on prenait en charge les symptômes : la chirurgie pour réduire les masses qui se forment dans le corps (certains patients subissent des centaines d’opérations), on donne aussi des antalgiques (souvent la morphine à haute dose) car tous les patients ont d’énormes douleurs. En plus tous présentent une importante fatigue. Mais aujourd’hui, pour les cas les plus sévères, un traitement nouveau est donné, et c’est justement l’histoire de sa découverte par le Pr Canaud dont je voulais vous parler.
Ali Rebeihi : Racontez-nous ça !
Thierry Lhermitte : Elle commence en 2015, au moment où le jeune néphrologue monte son équipe de recherche sur la maladie chronique du rein. Quel rapport avec le syndrome d’hypercroissance me direz-vous ? Parce que c’est à ce moment-là qu’il voit un consultation un jeune homme de 25 ans, Emmanuel, adressé pour une insuffisance rénale. Celui-ci est atteint de la forme sévère de la maladie, c’est-à-dire d’un syndrome de Cloves. Il a des masses dans tout le corps et a subi des dizaines d’interventions chirurgicales depuis son enfance. Il est paraplégique depuis 2007. Après un bilan global pluridisciplinaire, malheureusement le couperet tombe : l’état trop altéré d’Emmanuel (qui a aussi une importante insuffisance cardiaque) ne permet pas de tenter quoi que ce soit.
Ali Rebeihi : C’est terrible ! Mais Guillaume Canaud ne jette pas l’éponge j’imagine ?
Thierry Lhermitte : Non, il est particulièrement touché par ce jeune homme, brillant ingénieur aéronautique qui lutte contre sa maladie. Emmanuel est porteur d’une mutation dans le gène PIK3CA. En épluchant les recherches menées sur ce gène, Guillaume Canaud découvre qu’il est aussi très souvent muté dans des cancers. Des mutations qui l’activent et contribuent à la prolifération des cellules malignes. Avec le cancer, on n’est plus face à une maladie rare. Il se dit alors qu’il doit y avoir des recherches pour développer des molécules spécifiques capables de contrer cette activation anormale du gène PIK3CA. Et en effet, des entreprises pharmaceutiques s’intéressaient au sujet. Une en particulier (Novartis) était en train de tester une molécule inhibant de manière spécifique la protéine produite par le gène PIK3CA. L’entreprise terminait une première phase d’essais cliniques chez des femmes atteintes de cancer du sein avec une mutation du gène PIK3CA. Il s’agissait d’une phase très précoce sur le chemin du développement d’un médicament, puisque l’objectif de cet essai était simplement d’évaluer la dose maximale tolérée.
Ali Rebeihi : Et donc Le médecin contacte l’entreprise ?
Thierry Lhermitte : Oui, il y a de multiples discussions, ainsi qu’avec l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé, et en décembre 2015, il obtient l’autorisation pour une utilisation compassionnelle de cette molécule, qui n’a pas encore fait ses preuves comme médicament.
Ali Rebeihi : Et le traitement commence ?
Thierry Lhermitte : Oui, en janvier 2016. Emmanuel, le jeune patient, prend un comprimé par repas avec la dose la plus faible de l’essai clinique. Et en quelques jours il commence déjà à ressentir des effets ! ça se confirme, au fil des semaines les œdèmes présents se résorbent, sa fatigue diminue, et, surtout, les masses anormales diminuent de volume. Ça, c’est le plus incroyable, car Guillaume Canaud pensait, au mieux, arrêter la progression de la maladie, mais en fait elle régresse et le patient n’a pas d’effet secondaire. Depuis, Emmanuel a perdu 30 kg, il n’a plus de douleurs et a repris une activité professionnelle. Il toujours des malformations osseuses notamment, apparues au fur et à mesure de sa croissance, mais elles ne l’empêchent plus de vivre !
Ali Rebeihi : Donc il est guéri ?
Thierry Lhermitte : Non, puisque la mutation est toujours présente. On ne peut pas arrêter le traitement, sinon le processus de la maladie repart.
Ali Rebeihi : Quelle est la suite de cette histoire incroyable ?
Thierry Lhermitte : Dans la foulée, Guillaume Canaud a ensuite traité 19 enfants et adolescents de l’hôpital Necker selon le même principe compassionnel. Avec toujours des résultats aussi spectaculaires et qui l’ont fait connaître dans le monde entier. Ensuite tout s’enchaîne, un essai mené aux États-Unis, avec 57 patients pour qui les résultats sont toujours positifs. Et, dans la foulée, une commercialisation de la molécule dans ce pays.
Ali Rebeihi : Et en Europe ?
Thierry Lhermitte : Les règles de l’Agence européenne du médicament sont plus strictes et une étude est encore en cours. Ses premiers résultats seront connus l’année prochaine. Mais l’Agence demande un suivi au plus long terme. En attendant, le Pr Canaud (ainsi que d’autres centres en France) propose ce traitement aux patients les plus sévèrement atteints, avec une autorisation spéciale. Et en parallèle, avec son équipe il poursuit ses recherches pour comprendre les mécanismes de la maladie, qui sont complexes. Notamment avec Gabriel Morin, un jeune médecin soutenu pour sa thèse de sciences par la Fondation Pour la Recherche Médicale. On leur souhaite de poursuivre avec autant de succès au bénéfice des malades !
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