SLA : cibler tous les mécanismes de neuro-inflammation
11 décembre 2024
01 mars 2024
Notre parrain Thierry Lhermitte a rencontré l’équipe de la professeure Stéphanie Debette, neurologue au CHU de Bordeaux.
Stéphanie Debette dirige le Centre de recherche sur la santé des populations de Bordeaux (Bordeaux Population Health), qui comporte 10 équipes de recherche. L’équipe « Épidémiologie moléculaire des troubles vasculaires et cérébraux », qu’elle co-dirige, étudie en particulier la maladie des petits vaisseaux cérébraux.
Cette visite a fait l'objet de la chronique santé de Thierry Lhermitte diffusée le lundi 26 février dans l'émission « Grand Bien Vous Fasse ! » sur France Inter, à (ré)écouter en replay.
Ali Rebeihi : Thierry, vous vous êtes rendu à Bordeaux ce mois-ci pour rencontrer l’équipe de la professeure Stéphanie Debette. Elle est neurologue au CHU de Bordeaux et dirige le Centre de recherche sur la santé des populations de Bordeaux (Bordeaux Population Health), qui comporte 10 équipes de recherche. L’équipe qu’elle co-dirige, « Épidémiologie moléculaire des troubles vasculaires et cérébraux », étudie en particulier la maladie des petits vaisseaux cérébraux. Cette maladie est un enjeu de santé publique important ?
Thierry Lhermitte : Un enjeu majeur ! Il s’agit d’une maladie encore mal connue, fréquente : on estime qu’elle touche plusieurs centaines de millions de personnes dans le monde. C’est une des principales causes d’AVC (l’accident vasculaire cérébral) et de démence. Je rappelle que la démence, c’est l’altération des capacités cérébrales dans les maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer. En France, plus de 4 millions des personnes au-delà de 60 ans sont concernées. Et avec le vieillissement de la population, ces chiffres vont tripler d'ici 2050 !
Ali Rebeihi : Comment elle se manifeste cette maladie des petits vaisseaux ?
Thierry Lhermitte : Elle ne se manifeste pas, justement, et c’est ça le cœur du problème. C’est une maladie occulte, qu’on découvre en général de manière fortuite, à partir de 60-65 ans, à l’occasion d’une IRM du cerveau : si on a fait une chute, si on a un problème de vertiges, d’équilibre, etc. On ne peut pas visualiser les petits vaisseaux cérébraux directement, ce qu’on voit, ce sont des sortes de taches blanches en profondeur dans le cerveau, ou il peut y avoir des « trous » où le tissu cérébral s’est nécrosé, ou encore des traces d’un ancien micro-saignement. 20 à 30 % des personnes de 80 ans ont des lésions de ce type-là.
Ali Rebeihi : C’est dû à quoi ces lésions ?
Thierry Lhermitte : C'est la conséquence, justement, d’une modification de la structure ou de la fonction des petits vaisseaux cérébraux. Il faut se représenter la circulation cérébrale comme un arbre, avec sa ramification. Les petits vaisseaux cérébraux, ce sont comme les branches externes, les plus fines, qui pénètrent le tissu cérébral pour l’irriguer. Quand ces petits vaisseaux fonctionnent mal, ça peut provoquer une moins bonne connexion entre les neurones et un mauvais fonctionnement du cerveau. Les symptômes apparaissent quand il y a de grandes lésions, ou qu’elles sont nombreuses : ça peut être des problèmes de mémoire, d’équilibre, etc. Lorsque ces lésions sont présentes en grande quantité, elle augmentent le risque de démence, souvent en association avec une maladie d’Alzheimer, et le risque d’AVC. Dans ce cas il peut s’agir de saignements, mais le plus souvent ça provoque des petits infarctus dans le cerveau : la circulation sanguine est bloquée, résultat les neurones ne sont plus alimentés et meurent.
Ali Rebeihi : Est-ce qu’il y a des traitements dans la maladie des petits vaisseaux ?
Thierry Lhermitte : Rien de spécifique car la maladie est encore mal connue. Mais on sait qu’un bon contrôle de la pression artérielle permet de ralentir la progression des lésions. Pour diminuer le risque d’AVC, il est recommandé de diminuer les facteurs de risque cardiovasculaires : lutter contre l’hypertension artérielle surtout, le taux élevé de cholestérol, le diabète, l’obésité, etc.
Ali Rebeihi : Et donc l’équipe de Stéphanie Debette étudie cette maladie justement pour trouver de nouveaux traitements ?
Thierry Lhermitte : Exactement : son objectif, c’est de comprendre les mécanismes pour trouver des traitements personnalisés, qui n’existent pas aujourd’hui. Elle veut aussi pouvoir évaluer le risque des patients dont on découvre les lésions, car tous ne vont pas avoir un AVC ou une démence, heureusement. Et puis l’ambition, c’est aussi faire de la prévention. Si on parvenait à réduire de moitié le risque d’AVC ou de démence lié à cette maladie, on pourrait prévenir 45 000 décès par an et économiser 4 milliards d'euros par an, rien qu'en France. Les enjeux sont donc importants !
Ali Rebeihi : Pour parvenir à ces objectifs quelles sont les recherches de l’équipe de la Pre Debette ?
Thierry Lhermitte : Ce sont des recherches qui combinent les dernières technologies de génétique, de biologie moléculaire, d’imagerie, d’intelligence artificielle, etc. pour étudier de très grandes populations sur tous les continents. Ce sont les données de millions de personnes qui sont étudiées ! Ces travaux sont bien sûr menés en collaborations internationales, avec des équipes de recherche dans de très nombreux pays. Grâce ces recherches, coordonnées depuis une quinzaine d’années maintenant, l’équipe a découvert avec ses collaborateurs des variations génétiques (c’est-à-dire des petits changements dans la séquence de l’ADN) dans 150 gènes ou régions du génome, qui sont associés à un risque accru d’AVC et de maladie des petits vaisseaux cérébraux. On a des variations des gènes qui font qu’on est tous différents. Mais certaines combinaisons entraînent une plus grande susceptibilité à certaines maladies. Ici, en l’occurrence la maladie des petits vaisseaux.
Ali Rebeihi : Donc c’était déjà une grande avancée de découvrir ces gènes de susceptibilité ?
Thierry Lhermitte : Absolument. Et connaître les gènes impliqués, c’est aussi pouvoir découvrir les mécanismes en jeu et donc aider à trouver des traitements. Et pour accélérer ce processus de mise au point des médicaments, qui demande généralement plus de 10 ans, l’idée des chercheurs ça a été de croiser les informations génétiques, notamment, qu’ils avaient avec les bases de données de médicaments. Et là, ils sont tombés sur des molécules qui étaient déjà soit en essais cliniques, soit déjà commercialisées. Donc maintenant il s’agit de les tester pour confirmer que ces médicaments déjà existants peuvent avoir un bénéfice dans la maladie des petits vaisseaux cérébraux. C’est du repositionnement de médicaments, ça permet de gagner beaucoup de temps, puisqu’ils ont déjà été développés.
Ali Rebeihi : Vous nous avez parlé de prévention tout à l’heure, est-ce que ces recherches peuvent y contribuer ?
Thierry Lhermitte : Oui, car ces études génétiques à grande échelle, qu’on appelle pangénomiques, permettent d’identifier les personnes qui ont un risque plus élevé d’AVC et de démence. Mais l’équipe a aussi fait une autre découverte majeure : les gènes de la maladie des petits vaisseaux impactent probablement la structure du cerveau très tôt, car ils sont associés à des variations de la microstructure du cerveau qui sont visibles à l’IRM dès l’âge de 20 ans.
Ali Rebeihi : C’est inquiétant ça !
Thierry Lhermitte : Il ne faut pas être alarmiste, car avoir des modifications ne signifie pas forcément qu’on va avoir plus tard un AVC ou une démence. Certaines altérations n’évoluent pas. Et en tout cas en contrôlant les facteurs de risque cardiovasculaires, comme l’hypertension, on peut ralentir le processus s’il est évolutif. C’est d’ailleurs la première chose que la Pre Debette explique aux patients. En revanche, avoir cette information est particulièrement intéressant pour mieux suivre ces personnes et éventuellement leur proposer une stratégie préventive précoce. Et puis grâce à ces études, les scientifiques pourraient aussi découvrir des mécanismes de résilience, qui pourraient aussi conduire à de nouveaux traitements.
Ali Rebeihi : En résumé, les travaux menés par l’équipe de Stéphanie Debette avancent dans toutes les directions !
Thierry Lhermitte : Oui, c’est extrêmement intéressant, du côté des traitements des molécules sont testées, mais aussi du côté du diagnostic, de l’évaluation du risque individuel et de la prévention. D’ailleurs les pouvoirs publics ont bien compris les enjeux de santé publics, car un Institut Hospitalo-Universitaire sur la santé vasculaire cérébrale a été créé en 2023, dans le cadre des investissements d’avenir. C’est la Pre Debette qui le dirige. Le programme pour les 10 prochaines années très ambitieux : détecter précocement la maladie cérébrale vasculaire, prévenir la survenue des AVC et de la démence, développer des traitements personnalisés et réduire les inégalités en santé vasculaire cérébrale sur notre territoire, mais aussi dans le monde.
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