Regards croisés : quelle est la place des femmes dans la recherche en santé ?
04 février 2025
« Sciences : où sont les femmes ? », interrogeait en juin 2024 un rapport de l’Académie des sciences, qui dénonçait la persistance d’un plafond de verre entravant l’accès des femmes qualifiées aux postes à responsabilités les plus élevés.
Deux directrices de recherche nous livrent leur point de vue sur la place des femmes dans la recherche en santé.
Carina Prip-Buus
Directrice de recherche CNRS à l’Institut Cochin, à Paris. Co-organisatrice en 2023, avec la Mission pour la place des femmes du CNRS, d’une rencontre entre biologistes et sociologues autour du thème « Sexe biologique et genre en santé »
Geneviève Almouzni
Directrice de recherche CNRS, à l’Institut Curie, à Paris. Membre de l’Académie des sciences et lauréate du prix international L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science 2024
La Mission pour la place des femmes du CNRS a fait de la parité son principal combat. Je suis d’origine danoise, une société dans laquelle je n’ai jamais été conduite à penser qu’être une femme puisse être pénalisant. Pourtant, le simple fait de ralentir ses travaux de recherche à l’occasion de la naissance d’un enfant constitue un handicap pour les chercheuses qui, bien qu’ayant suivi le même cursus que leurs homologues masculins, vont postuler plus tardivement aux mêmes postes. Au CNRS, les instances d’évaluation tiennent compte de ce décalage lors du recrutement et de la promotion des femmes. La quantité de publications ne doit pas demeurer le seul critère d’appréciation de la qualité du parcours d’un chercheur.
Au sein d’un laboratoire de recherche, les femmes sont souvent orientées vers les fonctions qui ne relèvent pas de la science pure : management, organisation, constitution de réseaux. Dans une large mesure, elles font tourner les rouages, tandis que les hommes privilégient les fonctions apportant de la visibilité. Dans leur carrière, les chercheuses ont tendance à se dévaloriser, à considérer que de plus grandes responsabilités seront incompatibles avec leur vie familiale. Lorsque je croise de tels cas de figure, je m’efforce de les rassurer. Cela suffit souvent à lever leurs réticences.
Outre la place des chercheuses, il faut également nous interroger sur la place des femmes dans les recherches en santé. Aujourd’hui encore, de trop nombreuses équipes en biologie se concentrent exclusivement sur l’étude d’individus mâles, en extrapolant leurs résultats aux individus femelles. Or, nous savons que le sexe et le genre déterminent pour partie l’état de santé, la prise en charge des patients, leur réponse aux traitements… La France, à l’instar de ce qui se pratique déjà en Allemagne, en Suède, aux Pays-Bas ou en Italie, doit mieux intégrer ces paramètres dans la recherche en santé.
J’ai fait partie du groupe de travail pluridisciplinaire de l’Académie des sciences qui a réalisé l’étude sur la place des femmes dans le monde de la recherche scientifique. Si leur sous-représentation est plus marquée dans certains domaines que dans d’autres, notamment en mathématiques et en physique, tous les domaines partagent des problématiques similaires.
Les stéréotypes de genre demeurent très présents et éloignent les filles de la voie scientifique. Il est nécessaire d’agir en amont, dès l’école. Lors de la remise du prix L’Oréal-Unesco Pour les Femmes et la Science, j’ai été très touchée d’observer à quel point ce prix avait du sens pour les jeunes filles, leur donnant envie de s’inscrire dans cette vie scientifique. Le soutien aux femmes scientifiques par les femmes et par les hommes est indispensable. L’entraide au quotidien ou le mentorat tout au long de la carrière, ces échanges entre jeunes recrutées et scientifiques expérimentées les aident à tirer le meilleur parti de leurs compétences pour le bénéfice de tous.
Près de la moitié des doctorats en sciences sont décernés à des femmes. Mais à mesure que l’on avance dans les postes à responsabilités, elles se heurtent à un plafond de verre et voient leurs effectifs se réduire de moitié. Elles sont trop peu nombreuses à accéder aux promotions, ou à intégrer les académies. Les processus de recrutement sont entachés de biais inconscients dont la communauté scientifique a du mal à prendre la mesure. Il convient d’éclairer les jurys sur les manières dont ces biais peuvent influencer leur décision, et comment les corriger. Il n’est pas acceptable de continuer à priver le monde scientifique, et la société dans son ensemble, du talent des chercheuses !
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