Organoïdes : une technique d'avenir pour remplacer le foie endommagé ?
Une extension des cultures cellulaires
Depuis plus d'un siècle, les chercheurs travaillent avec des cultures cellulaires in vitro : dans des boites de Pétri ou des tubes à essai, ils multiplient un type précis de cellules, pour les étudier ou tester des médicaments par exemple. Ces cultures ont permis de grands progrès médicaux, mais reste à des années-lumière de la complexité du vivant !
Depuis 2010 un outil plus proche de la réalité biologique a émergé et pourrait bien bouleverser les méthodes de travail des chercheurs : les organoïdes. Foie, intestin, rein, pancréas, poumon, prostate et même cerveau, de nombreux organes ont doré et déjà été modélisés en laboratoire et la liste s'allonge chaque jour. Notamment grâce au succès de quelques équipes françaises.
Un modèle d'organe simplifié
Chassons toute ambiguïté : un organoïde n'est pas un organe miniature. Il s'agit plutôt d'un « modèle simplifié d'unités fonctionnelles de certains organes, mesurant entre 100 et 500 µm, précise Nathalie Vergnolle, directrice de l'Institut de recherche en santé digestive de Toulouse et de la plateforme Organoïdes. Autrement dit, un organoïde est une structure générée à partir de cellules souches qui se spécialisent et s'auto-organisent en 3D, et qui assurent au moins une fonction biologique de l'organe qu'elles représentent. »
Avec les organoïdes, les chercheurs disposent d'une architecture complexe de deux, trois, voire plus de quatre types de cellules différentes, qui interagissent et sont capables par exemple de sécréter des protéines, d'absorber ou filtrer un substrat, d'avoir une activité électrique
La fabrication d'un organoïde en vidéo
Foie, intestin, rein, pancréas, poumon, prostate et même cerveau : de nombreux organes ont doré et déjà été modélisés en laboratoire et la liste s'allonge chaque jour, grâce notamment à de nombreuses équipes de recherche françaises, parmi les premières au monde à s'être emparées du sujet.
Un autoassemblage spontané à partir de cellules souches
Pour fabriquer un organoïde, il faut des cellules souches, des cellules indifférenciées capables de s'auto-renouveler et de donner naissance à des cellules spécialisées. Deux types de cellules souches sont envisageables : celles dites pluripotentes, naturellement présentes dans certains organes et assurant leur renouvellement et leur réparation, ou bien des cellules souches induites, ou iPS, qui sont issues de cellules différenciées (par exemple une cellule de peau ou une cellule sanguine) reprogrammées génétiquement pour revenir au stade de la pluripotence. Ces cellules souches sont mises en culture dans un gel nutritif où sont injectés successivement des facteurs de croissance et de différenciation, qui vont stimuler leur multiplication et leur spécialisation en différents types cellulaires.
Spontanément, les cellules s'autoassemblent selon une organisation qui réplique celle de l'organe à mimer. Cela prend quelques jours à quelques semaines pour obtenir un organoïde. Une méthode alternative existe : « les cellules souches peuvent être mises en présence de fibroblastes (NDLR : les cellules principales du tissu conjonctif, qui soutient et protège les organes) de l'organe à mimer, ils vont secréter de nombreuses molécules nécessaires au développement de l'organoïde. Une méthode moins coûteuse, mais aussi plus hasardeuse, car on ne maîtrise pas tout ce que produisent les fibroblastes », explique Nathalie Vergnolle.
Des usages très divers
Suppléance du foie et tests médicamenteux hépatiques
Si tout a commencé en 2009 aux Pays-Bas, avec des organoïdes d'intestin, depuis les chercheurs ont rapidement su fabriquer des modèles très différents. « La peau est par exemple l'un des organoïdes les plus simples à faire, estime Jean-Charles Duclos Vallée, du Centre Hépato-biliaire Paul-Brousse à Villejuif. Nous fabriquons des organoïdes de foie qui incluent plusieurs types cellulaires et qui sont capables de produire de l'albumine et des acides biliaires. » Ces organoïdes peuvent être très utiles pour tester par exemple de nouveaux médicaments, ou en évaluer la toxicité hépatique. « Nous espérons aussi pouvoir les utiliser pour mettre au point un bioréacteur permettant ainsi d'améliorer les systèmes de suppléance hépatique dans l'attente d'un greffon, et/ou d'attendre une régénération spontanée dans les cas d'insuffisance hépatique sévère », explique-t-il.
Analyse du fonctionnement rénal
À l'université de Poitiers, l'équipe IRTOMIT de Thierry Hauet et Clara Steichen travaille sur des organoïdes rénaux et sur la reprogrammation cellulaire. Dans ces modèles en 3D, « les cellules sont actives, elles interagissent et miment certaines fonctions physiologiques normales de l'organe, développe Thierry Hauet. Cela nous permet par exemple d'observer les mécanismes de régénération cellulaire du rein, ou bien de mieux comprendre les conséquences d'une irradiation de cet organe. Ou encore d'étudier les conséquences d'un manque d'oxygène sur les cellules rénales, un phénomène qui survient par exemple lorsqu'un rein est prélevé en vue d'une transplantation. Peut-être un jour arrivera, -t-on aussi, à utiliser ces organoïdes pour faire de la médecine réparatrice. »
Étude des poumons et des atteintes de la rétine
D'autres équipes françaises ont mis au point des organoïdes de poumon, comme à l'Institut de médecine régénérative et de biothérapies de Montpellier. Ou encore des organoïdes de rétine, dans l'équipe d'Olivier Goureau à l'Institut de la vision à Paris. C'est « une avancée importante pour l'étude du développement de la rétine et cela offre de nouvelles possibilités pour l'étude des maladies associées difficilement modélisables chez l'animal. Outre les applications en recherche fondamentale, ces organoïdes ouvrent des perspectives encourageantes dans le domaine de la thérapie cellulaire ou le criblage de molécules thérapeutiques » expliquait ce dernier dans la revue Médecine/Sciences en 2020.
Observation du développement cérébral
À l'Institut cellules souches et cerveau de Lyon, Bertrand Pain et ses collègues ont mis au point des organoïdes de cerveau qui leur ont permis d'étudier le développement de cet organe dans les premiers temps de vie de l'embryon, et ainsi d'avancer dans la compréhension d'une maladie neurodégénérative héréditaire qui détruit le système nerveux des enfants dès leur plus jeune âge, appelée syndrome CACH.
Le savoir-faire français se retrouve enfin dans la plateforme « Organoïdes » dirigée par Nathalie Vergnolle à Toulouse : « Depuis une dizaine d'années, nous accueillons des chercheurs pour les former au développement d'organoïdes, ou bien, nous les fabriquons pour eux, à leur demande. Nous avons aussi une bio banque d'organoïdes. Chaque année, nous collaborons à 20 à 30 projets de recherche institutionnelle ou privée. »
Des limites encore nombreuses
Si le monde des organoïdes est florissant, de nombreux obstacles restent à franchir ! Le défi principal, c'est le développement d'organoïdes plus complexes, avec un plus grand nombre de types cellulaires et surtout qui soit « environnés, c'est-à-dire avec toutes les structures nécessaires à leur fonctionnement comme des vaisseaux sanguins, une innervation, la présence du système immunitaire, et pour les muqueuses d'un microbiote », explique Nathalie Vergnolle. Sans vascularisation pour lui apporter nutriments et oxygène, lamas de cellules est aujourd'hui freiné dans sa croissance et finit souvent par se nécroser de l'intérieur.
Quant aux systèmes immunitaires et nerveux, ils sont d'une importance cruciale pour le fonctionnement d'un organe. Or les milieux utilisés pour faire grandir les organoïdes actuels ne sont pas favorables aux cellules nerveuses et immunitaires. Et « les facteurs de croissance et de différenciation coûtent très cher », souligne aussi Jean-Charles Duclos-Vallée. Des défis technologiques et financiers qu'il reste donc à relever pour les chercheurs.
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