Les promesses de l’immunité ancestrale
09 décembre 2024
Quels points communs entre notre système immunitaire et celui des bactéries ? Probablement bien davantage que ce qu’on imaginait jusque-là. C’est ce que suggèrent les travaux d’Enzo Poirier, chef de l’équipe « Immunité innée en physiologie et cancer » à l’Institut Curie. L’étude de cette « immunité ancestrale », assurée par des protéines conservées au cours de l’évolution depuis la bactérie jusqu’à l’Homme, pourrait mener à de nouvelles stratégies d’immunothérapie.
Le jeune chercheur, financé durant 3 ans par la FRM dans le cadre de l’appel à projet « Amorçage de jeunes équipes » de 2021, revient sur ses découvertes, obtenues en collaborations avec l’équipe d’Aude Bernheim, à l’Institut Pasteur à Paris. Histoire d’un projet original qui a le vent en poupe.
La FRM a été une des premières institutions qui m'a soutenu à mon retour de postdoctorat. Après une thèse de virologie à l’Institut Pasteur, j’avais choisi de compléter ma formation en faisant de l’immunologie au Francis Crick Institute à Londres. L’institut Curie m’a accueilli en décembre 2021 pour installer mon équipe, via un « start up package ». Le financement de la FRM m’a quant à lui permis de recruter deux ingénieurs de recherche pour lancer rapidement nos projets. Et il a vraiment joué son rôle d’amorçage en accélérant l’obtention de résultats.
Depuis, en effet, tout s’est enchaîné : fin 2022 nous avons décroché un ERC Starting Grant 1 et en novembre 2024 notre projet EvoCure a été lauréat du programme Impact Santé porté par l’Inserm (dans le cadre de France 2030) dédié à la recherche biomédicale de rupture. On peut donc dire que le soutien de la FRM a été l’étincelle de départ ! Les résultats publiés avec Aude Bernheim en découlent d’ailleurs directement.
Notre ambition est de découvrir de nouvelles protéines immunitaires humaines par comparaison avec celles présentes chez les bactéries. Ces organismes déploient en effet une vaste panoplie de systèmes de défense vis-à-vis de l’infection par les phages 2. Or, les dernières années ont révélé que certaines protéines clés de notre immunité innée 3 avaient des homologues bactériennes. Une observation qui pointe une origine commune et une conservation au cours d’une évolution d’environ un milliard d’années ! C’est le concept d’« immunité ancestrale », que nous développons avec Aude Bernheim.
Pour rechercher les protéines et domaines immunitaires communs entre bactéries et humains, c’est assez complexe. Après un travail théorique sur la manière de détecter des homologies de domaines entre espèces si éloignées, nous avons combiné la comparaison de séquences protéiques et la phylogénie 4. Résultat : nous avons confirmé que des protéines humaines homologues de systèmes antiviraux bactériens pouvaient être identifiées ainsi et jouaient également un rôle immunitaire à différents niveaux. Cette publication constitue donc la preuve de concept de notre approche : explorer l'immunité ancestrale pourra permettre de découvrir de nouvelles protéines impliquées dans l’immunité humaine.
Cury J et al., 2024. Conservation of antiviral systems across domains of life reveals immune genes in humans. Cell Host & Microbe 32, 1594–1607, September 11, 2024. Lien DOI
Aujourd’hui, presque 150 systèmes bactériens anti-phages sont connus, une extraordinaire diversité qui est loin d’être exhaustive ! Nous supposons donc qu’outre la douzaine de protéines « ancestrales » immunitaires humaines déjà découvertes, il en reste beaucoup d’autres à découvrir.
Nous proposons de le faire de manière systématique. C’est l’objet du projet EvoCure que je coordonne, et qui associe au sein d’un consortium 5 équipes aux compétences complémentaires : celles de François Rousset et de Lucie Etienne, au Centre international de recherche en infectiologie à Lyon, celle de Jean-Luc Imler et Carine Meignin à l’Institut de biologie moléculaire et cellulaire à Strasbourg, et enfin celle d’Aude Bernheim et la mienne. Nous avons la chance d’avoir en France la majorité des spécialistes de cette question !
Nous allons aussi adjoindre l’utilisation d’intelligence artificielle, une approche conceptuellement différente, pour valider et affiner nos résultats. Une fois de nouvelles protéines découvertes, il faudra étudier leur rôle éventuel dans l’immunité et les mécanismes d’action en jeu. En élargissant notre connaissance du système immunitaire, nous espérons à terme développer de nouvelles immunothérapies antitumorales ou dans d’autres maladies, par exemple auto-immunes.
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