Les scientifiques débattent encore des mécanismes à l’origine de la maladie et les avancées ne sont pas de nature à arrêter la controverse. En voici quelques exemples.
Diminution de l'apport sanguin et atteinte de l'intégrité du système vasculaire cérébral
Une étude canadienne 1, publiée en juin 2016, montre que le premier signe physiologique de la maladie est une diminution de l’apport de sang au cerveau, avant même l’augmentation des peptides amyloïdes. Jusqu’alors les premières anomalies détectées étaient les plaques amyloïdes. Début 2019, une autre étude a montré que la diminution du débit sanguin cérébral pouvait aussi favoriser le développement de la maladie d’Alzheimer au sein d’un modèle animal 2. En 2022, des chercheurs se sont penchés sur les mécanismes à l’œuvre dans cette diminution de l’apport sanguin cérébral. Elle pourrait être directement liée au peptide bêta amyloïde qui provoquerait une vasoconstriction des artères cérébrales 3. Une autre étude réalisée par une équipe suisse en 2024 a montré que les cellules qui tapissent la paroi vasculaire expriment de manière spécifique les gènes associés au risque d’Alzheimer, et que les peptides amyloïdes cérébraux bloquent les processus de réparation des vaisseaux 4.
Ces découvertes vont dans le sens des préconisations sur la bonne santé vasculaire cérébrale pour prévenir l'apparition des signes de démence.
Protéine Tau anormale : la genèse de la maladie d'Alzheimer ?
Une étude américaine 5, publiée en mai 2016, a révélé, pour la première fois grâce à une technique d’imagerie cérébrale, que l’accumulation de protéine Tau dans le cerveau est directement associée à l’apparition des symptômes de la maladie d’Alzheimer, ce qui n’est pas le cas des plaques amyloïdes.
D’autres travaux, publiés en juillet 2018, ont montré pour la première fois comment la protéine Tau pourrait être à l’origine de la maladie : le contact d’une protéine Tau de forme normale avec une protéine Tau de forme anormale engendrerait sa conversion dans une forme anormale. Ces anomalies de forme de la protéine Tau se propageraient de proche en proche. Un véritable problème, car la forme anormale favoriserait l’accumulation de la protéine Tau en fibres, toxiques pour les neurones 6.
Fin 2023, des chercheurs français ont même pu visualiser et ainsi mieux caractériser la formation de ces agrégats de protéine Tau anormales grâce à des méthodes avancées de spectroscopie 7.
Grâce aux avancées technologiques des dernières années, les chercheurs recueillent de plus en plus de preuves confortant l’hypothèse d’une protéine Tau qui se comporterait comme une protéine « prion ». Cependant, il faut noter que les chercheurs ne pensent pas que ces protéines se comportent comme des « particules infectieuses », capables de transmettre la maladie d’un individu à un autre.
Quel effet de l'inflammation cérébrale ?
Dans une étude publiée en mars 2016 8, une équipe française a suivi la réaction inflammatoire qui se produit autour des plaques amyloïdes. Elle en conclut que cette inflammation, qui apparaît précocement, avant les premiers signes de la maladie, joue un rôle protecteur sur son apparition. En revanche, cette étude n'exclut pas que cette inflammation puisse être néfaste dans des stades plus avancés de la maladie.
D’autres travaux ont depuis mis en évidence un lien entre inflammation et maladie d’Alzheimer. Ces mécanismes pourraient impliquer, selon de récents travaux, certaines cellules de soutien des neurones, les astrocytes. Un autre type cellulaire, les microglies, des cellules immunitaires du cerveau, pourraient aussi être en cause selon une étude de 2023 9. Cette piste de la neuro-inflammation prend de l’importance : les chercheurs pensent ainsi qu’elle pourrait influencer le décours de la pathologie, et ce sujet fait l’objet de nombreuses investigations.
Le peptide bêta-amyloïde, mécanisme de défense du cerveau ?
Une étude américaine de mai 2016 10a attiré l’attention sur une nouvelle hypothèse concernant le peptide bêta-amyloïde : il pourrait faire partie des mécanismes immunitaires innés, la première ligne de défense de l’organisme contre une infection. Les chercheurs ont en effet montré son action antimicrobienne dans le cerveau d’animaux infectés par une bactérie et in vitro sur des cellules humaines.
Plusieurs études vont dans le sens de cette hypothèse, comme en témoigne une revue de la littérature publiée en 2022 dans la revue Plos Pathogens. Les auteurs mettent en évidence plusieurs éléments en faveur d’un rôle anti-infectieux cérébral du peptide bêta amyloïde. Une activation excessive de ce système, à la suite d’une infection par un agent pathogène survenue dans le passé, pourrait contribuer à la maladie 11.
Enfin, une étude de 2023, a identifié un lien entre encéphalite virale et maladie d’Alzheimer : les personnes touchées par une encéphalite virale présentaient un risque beaucoup plus important de développer une maladie d’Alzheimer par la suite 12.
Virus de l'herpès et maladie d'Alzheimer
Les relations entre infection par le virus de l’herpès et maladie d’Alzheimer ont par ailleurs fait l’objet d’une étude publiée en 2020. Elle démontre que, parmi les personnes porteuses d’une mutation particulière connue pour augmenter le risque de maladie d’Alzheimer, celles présentant en plus des réactivations fréquentes du virus de l’herpès HSV1 ont trois à quatre fois plus de risque de développer une maladie d’Alzheimer 13.
En 2022, des chercheurs ont montré in vitro qu’une infection par le virus de la varicelle-zona pouvait réactiver des virus de l’herpès HSV1 latents dans les neurones, induisant notamment une accumulation de peptides bêta amyloïdes et de protéines Tau anormales 14. Lutter contre le virus de l’herpès, une piste prometteuse ?
Des nouveautés sur le gène APOE4
Une étude de 2024 15 a permis de progresser sur la caractérisation des mécanismes impliquant le gène APOE4, variant connu pour être un facteur de risque de développer la maladie. Il provoquait, en présence de peptide bêta amyloïdes, l’accumulation de lipides dans la microglie, les cellules dépolluantes du cerveau. Cela contribuerait à la neurotoxicité. Lutter contre cet aspect pourrait s’avérer une stratégie thérapeutique intéressante à l’avenir.
Attention, cela ne fait pas pour autant de la maladie d’Alzheimer une maladie génétique, il ne s’agit ici que d’un facteur de susceptibilité.
Une production d'énergie altérée dans les cellules nerveuses cérébrales
Des études de décembre 2017 16 et janvier 2018 17 ont établi qu’avant même l’apparition des premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer, le fonctionnement des mitochondries, les usines énergétiques de la cellule, est perturbé dans les neurones. Les chercheurs font l’hypothèse que ce déclin énergétique entraîne une cascade moléculaire qui conduit à la maladie. Cette altération de la production énergétique serait amplifiée en présence du peptide bêta-amyloïde. Les dysfonctions mitochondriales constituent ainsi une piste dans la compréhension de la pathologie. Elle est actuellement explorée par les chercheurs, à l’instar d’une étude publiée en 2024 montrant un intérêt possible de la restauration de la fonction des mitochondries dans la pathologie 18.
Une accumulation de mitochondries problématique
Les chercheurs ont également montré en 2019 un autre impact des mitochondries dans la maladie d’Alzheimer, différent des études précédemment citées. Lors de la pathologie, le processus de destruction des mitochondries dysfonctionnelles, la mitophagie, est altérée : les mitochondries s’accumulent alors dans les neurones. L’étude 19 a aussi démontré que rétablir une mitophagie normale au sein d’un modèle animal de la maladie améliore les symptômes. Ici encore, les études continuent pour comprendre l’impact de l’accumulation des mitochondries dans la neurodégénérescence.
Des changements dans d'autres cellules cérébrales que les neurones
Au cours des dernières années, les chercheurs ont découvert que non seulement les neurones meurent, mais aussi que d’autres cellules cérébrales sont également modifiées dans la maladie d’Alzheimer. Et en particulier les astrocytes, des cellules voisines des neurones, qui jouent un rôle dans leur formation, leur maturation, leur fonctionnement, et même leur métabolisme. Or durant la maladie, ces astrocytes subissent des changements morphologiques, mais aussi de nombreuses modifications dans l’expression de leurs gènes. Ils ne régulent alors plus les neurones de la même manière ; on dit qu’ils deviennent « réactifs ». Des expériences montrent que diminuer l’état réactif de ces astrocytes chez des souris modèles de la maladie d’Alzheimer permet notamment de restaurer l’apprentissage défaillant et de réduire leur anxiété. Ces résultats suggèrent que la modulation des astrocytes pourrait être une piste pour tenter de conserver un bon fonctionnement des neurones.