Troubles des conduites alimentaires : l’impulsivité est associée à la boulimie et à l’hyperphagie boulimique dans la population
Les troubles des conduites alimentaires (TCA), comme l’anorexie mentale ou la boulimie, pourraient toucher près de 10 % de la population. Les facteurs de risque sont nombreux, aussi bien génétiques que socioculturels. Les graves conséquences associées à ces maladies du comportement alimentaire nécessitent de les détecter au plus tôt pour mettre en place une prise en charge multidisciplinaire adaptée, en particulier psychothérapeutique.
La recherche vise aujourd’hui à mieux comprendre les mécanismes à l’origine de ces troubles et à développer de nouvelles stratégies thérapeutiques.
Point de vue de l'expertNathalie Godart
Je me suis intéressée à la recherche parce que j'avais envie de comprendre ce qu'étaient les maladies mentales, et je souhaitais participer au développement de nouvelles thérapies.
J'ai choisi la pédopsychiatrie, et plus particulièrement la tranche d'âge des adolescents car c'est une période de vie particulièrement intense, et que toute intervention thérapeutique va avoir un impact très important pour la suite.
Quelques chiffres sur les troubles des conduites alimentaires
Les troubles des conduites alimentaires (TCA) sont des pathologies fréquentes en France. On en distingue trois principaux : l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique.
L’anorexie mentale touche entre 0,9 et 1,5 % des femmes et 0,2 à 0,3 % des hommes selon Ameli. Dans plus de 80 % des cas, les personnes atteintes sont des femmes, avec un pic de fréquence chez les 13-14 ans et les 16-17 ans. D’après l’Inserm, plus de 65 % des patients sont guéris après 5 ans d’évolution. Au-delà, on parle d’anorexie mentale « chronique ».
La boulimie concerne quant à elle 1,5 % des 11-20 ans et touche en majorité les femmes d’après la Haute autorité de santé (HAS). Le pic de fréquence se situe vers 19-20 ans selon Ameli. Enfin, l’hyperphagie boulimique touche autant les hommes que les femmes, et apparaît plutôt à l’âge adulte. Elle touche 3 à 5 % de la population, d’après la HAS.
Si l’on englobe toutes les formes de troubles des conduites alimentaires, on estime que 10 % de la population pourrait être concernée.
Qu’est-ce que les troubles des conduites alimentaires ?
Des troubles psychiatriques en lien avec la nourriture
Durant toute notre vie, notre rapport à la nourriture reflète notre état de santé physique ou mentale. Notre appétit est en effet fréquemment modifié par des bouleversements passagers tels que les infections, le stress ou la déprime passagère. Mais lorsqu’une relation inhabituelle à la nourriture associée à une souffrance psychique s’installe durablement et qu’il y a des conséquences pour la santé, on parle de troubles des conduites alimentaires.
Les TCA les plus fréquents sont l’anorexie mentale, la boulimie et l’hyperphagie boulimique. Ces pathologies ne doivent pas être confondues avec des habitudes de grignotage, de suralimentation ou des restrictions alimentaires liées à un régime. Il s’agit bel et bien de troubles psychiatriques.
Quels sont les différents types de troubles des conduites alimentaires ?
L’anorexie mentale
L’anorexie mentale se caractérise par une alimentation insuffisante par rapport aux besoins physiologiques. Ce TCA se distingue de l’anorexie, qui est une simple perte de l’appétit plus ou moins temporaire, souvent consécutive à une maladie somatique ou un état anxieux. L’anorexie mentale est due à des perturbations de la perception du corps en lien avec l’estime de soi et un refus de prendre du poids, même lorsque le corps est très amaigri.
L’anorexie mentale est associée à plusieurs types de comportements comme le contrôle calorique de tous les aliments consommés, ou la pratique intense d’exercice physique pour perdre du poids ou compenser les calories ingérées. D’après l’Inserm, dans 20 à 50 % des cas, les patients sont aussi sujets à des épisodes boulimiques répétés.
La boulimie
La boulimie correspond à des crises compulsives où le patient ingère de grandes quantités de nourriture en assez peu de temps. Ces crises sont suivies par des comportements compensatoires inappropriés tels que des vomissements, un jeûne ou la pratique excessive d’exercices physiques.
L’hyperphagie boulimique
L’hyperphagie boulimique est aussi appelée « accès d’hyperphagie », ou « binge-eating ». Elle se présente sous la forme d’épisodes récurrents de crises de boulimie, mais sans comportement compensatoire associé.
Les autres troubles du comportement alimentaire
Il existe d’autres TCA plus rares comme l’alimentation hypersélective, qui consiste par exemple à ne manger que des aliments jaunes, l’orthorexie, qui repose sur le désir de ne se nourrir qu’avec des aliments sains, le pica, qui correspond à l’ingestion compulsive de substances non nutritives et non comestibles, ou encore le mérycisme, qui caractérise la régurgitation volontaire du bol alimentaire et sa remastication.
Quelles sont les conséquences des troubles des conduites alimentaires ?
Chaque trouble des conduites alimentaires s’accompagne de conséquences physiques importantes.
Les conséquences de l’anorexie mentale
Pour l’anorexie mentale, les conséquences découlent de la malnutrition voire de la dénutrition qui s’ensuivent : troubles digestifs, arrêt des cycles menstruels, léthargie, déficits cognitifs, dysfonctionnement rénal, ostéoporose… Une atteinte cardiovasculaire peut aussi toucher les patients pendant la phase aiguë de l’anorexie. L’Inserm souligne que 5 à 6 % des patients décèdent en cas d’anorexie mentale « chronique », c’est-à-dire lorsque les troubles durent depuis plus de 5 ans. Le taux de suicide associé à l’anorexie est par ailleurs le plus important de toutes les maladies psychiatriques.
Les conséquences de la boulimie
Pour la boulimie, les risques sont liés aux vomissements répétés. Ces derniers peuvent induire à court terme une baisse du taux de potassium dans le sang ainsi qu’un arrêt cardiaque, et à long terme, des troubles digestifs et des problèmes dentaires. Contrairement aux idées reçues, le surpoids et l’obésité ne sont pas des conséquences notables de la boulimie, puisque des stratégies compensatoires sont adoptées pour compenser les périodes de crise.
Les conséquences de l’hyperphagie boulimique
En l’absence de comportements compensatoires, les conséquences de l’hyperphagie boulimique sont en revanche souvent associées à un surpoids, avec des risques de maladies métaboliques et cardiovasculaires telles que l’athérosclérose, ou des atteintes articulaires telles que l’arthrose.
Comment reconnaître les signes d’un trouble du comportement alimentaire ?
Une détection précoce des TCA est importante pour prévenir les risques d’aggravation et l’évolution vers des formes chroniques. La famille, l’école et le médecin traitant jouent alors un rôle majeur dans le repérage des premiers signes d’un trouble du comportement alimentaire.
Les symptômes de l’anorexie mentale
L’installation d’une anorexie mentale, comme la plupart des troubles du comportement alimentaire, est souvent insidieuse chez les personnes concernées. Elle est généralement masquée par un régime alimentaire à visée amaigrissante ou un trouble digestif. C’est aussi un changement du rapport à la nourriture qui doit alerter, avec le développement d’une attitude obsessionnelle vis-à-vis du poids, de la minceur, ou des calories contenues dans les aliments.
Les signes évocateurs ont tendance à varier entre les filles et les garçons. Chez ces derniers, on retrouve plus souvent de la boulimie associée ainsi qu’une hyperactivité plutôt qu’un investissement intellectuel vis-à-vis de la nourriture. Les filles auront quant à elles tendance à investir le champ de l’alimentation des membres de la famille pour cacher leur propre refus de s’alimenter.
Les symptômes de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique
Comme pour les autres TCA, l’installation de la boulimie se fait progressivement et elle est difficile à repérer. La boulimie et l’hyperphagie boulimique se manifestent toutes les deux par des comportements compulsifs incontrôlables autour d’un besoin de consommer de la nourriture. Ils se déroulent presque tout le temps hors des repas et sont cachés à l’environnement familial. L’objectif étant de se remplir, les aliments ingérés sont souvent ceux qui ne nécessitent pas de préparation, en plus d’être généralement hypercaloriques, gras, sucrés ou salés.
Dans le cas de la boulimie et contrairement à l’hyperphagie boulimique, les comportements compensatoires peuvent aussi alerter, en particulier les vomissements provoqués, le recours à des laxatifs ou à une activité physique trop intense.
Comment est fait le diagnostic des troubles des conduites alimentaires ?
Le diagnostic des TCA se fait selon un certain nombre de facteurs, parfois en association avec d’autres types de troubles.
Le diagnostic de l’anorexie mentale
Le dépistage de l’anorexie mentale doit être systématique en cas de perturbation de l’image du corps. Il s’appuie sur la recherche d’une restriction alimentaire (anorexie), d’une perte de poids et de la présence de stratégie de contrôle de poids telle que l’hyperactivité physique, les vomissements provoqués ou la prise de laxatifs. Chez la jeune femme, une absence de règles (aménorrhée) est aussi un signe à prendre en compte.
Le diagnostic de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique
Pour établir le diagnostic de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique, plusieurs éléments sont analysés, en particulier la répétition et la récurrence des accès boulimiques, et la présence ou l’absence de comportements compensatoires inappropriés visant à prévenir la prise de poids. Le médecin recherche également des troubles associés comme des troubles anxieux, des troubles dépressifs, des troubles addictifs ou des troubles sexuels.
Quels sont les facteurs de risque des troubles des conduites alimentaires ?
Les facteurs individuels et socioculturels des TCA
Les troubles des conduites alimentaires dépendent de facteurs individuels et socioculturels. Ils sont très souvent associés à un problème d’image du corps, appelé « dysmorphophobie ». L’anorexie mentale est notamment aggravée par un contexte social et médiatique où la minceur est survalorisée. Elle est très souvent associée à une mauvaise estime de soi. En termes de facteurs de risque socioculturels, les milieux sportifs, artistiques et celui de la mode, dans lesquels le corps est au premier plan, sont les plus exposés.
D’autres facteurs de risque psychologiques peuvent intervenir dans les TCA, comme des épisodes dépressifs ou des troubles de la personnalité, un perfectionnisme pathologique ou encore un stress précoce, par exemple une maltraitance infantile.
Les facteurs génétiques associés aux TCA
Il y aurait également une part de génétique dans ces pathologies. Pour l’anorexie mentale, les gènes pourraient représenter 50 à 60 % des divers facteurs de risque. Une étude a notamment permis d’identifier huit régions génétiques fortement associées à l’anorexie mentale. Parmi ces régions, des gènes régulant le risque de dépression ou de troubles obsessionnels compulsifs (TOC) joueraient également un rôle dans le métabolisme.
Des facteurs épigénétiques qui modulent l’expression des gènes sont aussi très probablement impliqués : des événements traumatiques pourraient en effet modifier l’expression de divers gènes, dont certains contrôlent le développement du cerveau.
La piste du microbiote dans les troubles alimentaires
Des recherches ont montré que des perturbations durables du microbiote intestinal, c’est-à-dire des microorganismes vivant dans notre intestin, pourraient être incriminées dans les manifestations psychiatriques de l’anorexie, et favoriser les rechutes.
Quels sont les traitements des troubles des conduites alimentaires ?
Une prise en charge pluridisciplinaire
Pour les troubles des conduites alimentaires, les spécialistes recommandent une prise en charge multidisciplinaire et la plus précoce possible. La mise en route du traitement doit donc associer le médecin traitant, les médecins spécialisés par exemple sur le plan digestif et cardiovasculaire, le médecin psychiatre ou le psychologue, et le médecin nutritionniste ou diététicien. L’objectif est de limiter les conséquences somatiques des troubles, d’éviter les complications à long terme, et de comprendre les mécanismes psychologiques pour enrayer une évolution vers la chronicité et guérir. La dimension sociale comprenant la scolarisation et l’insertion professionnelle des patients doit aussi être envisagée.
Pour le moment, aucun médicament n’a apporté la preuve d’un intérêt thérapeutique spécifique, sauf pour traiter les conséquences psychologiques ou somatiques des TCA. En ce sens, plusieurs types de thérapies peuvent être bénéfiques.
Les thérapies familiales
Dans le traitement de l’anorexie mentale, les thérapies familiales se sont déjà montrées efficaces. Ces thérapies réalisées avec les parents et les frères et sœurs de la personne anorexique visent à résoudre les perturbations familiales fréquemment associées à la pathologie.
Les thérapies cognitives et comportementales
Les thérapies cognitives et comportementales sont plutôt indiquées dans le cadre de la boulimie et de l’hyperphagie boulimique. Elles consistent en des exercices pratiques centrés sur les symptômes vécus par les patients.
Quels sont les axes de recherche sur les troubles des conduites alimentaires ?
Comprendre les mécanismes des troubles des conduites alimentaires
Les chercheurs s’attachent en premier lieu à identifier les gènes pouvant intervenir dans l’émergence des TCA. Cela pourrait apporter des informations sur les phénomènes moléculaires en jeu dans ces maladies et ouvrir de nouvelles pistes thérapeutiques. L’enjeu est aussi de mieux appréhender les mécanismes biologiques normaux et leurs dysfonctionnements dans les TCA, comme ceux qui touchent les circuits hormonaux et cérébraux, notamment les systèmes de prise de décision, de récompense et de motivation, ou encore le contrôle de l’appétit.
L’étude de mécanismes partagés avec les addictions est un domaine de recherche particulièrement actif. Elle concerne par exemple les neurones sensibles à la dopamine appartenant au circuit de la récompense, dont l’activité peut être modifiée dans certaines situations. Une autre piste actuelle consiste à considérer l’anorexie mentale comme une forme d’addiction à la privation et à essayer d’en décrypter les mécanismes psychologiques et hormonaux.
Comme dans d’autres perturbations de la nutrition, l’étude de l’axe cerveau-intestin et du rôle du microbiote apparaît aussi comme un champ d’investigation de plus en plus prometteur pour élucider le fonctionnement des troubles du comportement alimentaires et identifier de nouvelles pistes thérapeutiques pour les patients. Enfin, la composante psychologique est une voie de recherche essentielle sur les TCA. L’impulsivité pourrait par exemple représenter un facteur de risque important dans la boulimie et l’hyperphagie boulimique.
La stimulation cérébrale dans les troubles des comportements alimentaires
La neuromodulation est un autre axe exploré par la recherche. L’idée est de soigner les troubles en influant sur le fonctionnement cérébral par le biais de stimulations électriques ou magnétiques.
Des équipes ont par exemple évalué l’intérêt de la stimulation cérébrale profonde, où des électrodes sont implantées définitivement dans le cerveau pour stimuler des zones bien précises chez les patients souffrant d’anorexie mentale sévère et résistante aux thérapies habituelles. Beaucoup de travail reste à faire pour identifier la cible cérébrale la plus indiquée, mais ces essais ont démontré l’intérêt de la démarche.
La stimulation magnétique transcrânienne aurait également un intérêt potentiel. Cette technique a l’avantage de ne pas être invasive et d’être totalement réversible : les zones cérébrales sont stimulées durant plusieurs séances de quelques minutes par l’intermédiaire de puissants aimants placés de chaque côté du crâne. Les résultats sont pour le moment mitigés. Il reste à identifier les patients, anorexiques ou boulimiques, qui répondent le mieux à ces traitements. Les chercheurs pensent qu’il faudrait aussi intervenir plus tôt dans l’histoire du patient.
Améliorer la prise en charge des TCA
Du point de vue de la prise en charge, il faut encore améliorer les filières de soins pour diagnostiquer et traiter les patients de manière précoce, et identifier des sous-groupes de malades pour mettre en place des thérapies mieux adaptées aux différentes catégories de troubles observés.
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