Traitement du cancer : les résultats prometteurs des anticorps bispécifiques
On soigne de mieux en mieux les cancers, mais certaines tumeurs restent encore très difficiles à traiter. Il est plus qu’urgent de comprendre les mécanismes à l’origine de ces échecs thérapeutiques et de développer de nouvelles stratégies de soins.
C’est l’une des priorités de la recherche, notamment au travers de la stratégie décennale de lutte contre les cancers, la feuille de route du gouvernement pour améliorer significativement le taux de survie des cancers de plus mauvais pronostic à horizon 2030.
Quelques chiffres sur les cancers
433 000 nouveaux cas de cancer ont été diagnostiqués en 2023. Avec 162 400 décès en 2021, cette maladie reste la première cause de mortalité en France. Plus de la moitié des patients traités sont en vie 5 ans après le diagnostic.
Des améliorations significatives de la prise en charge des cancers incurables
Une mortalité globale en baisse
Le nombre annuel de nouveaux cas de cancers augmente depuis ces 30 dernières années en France, principalement du fait du vieillissement de la population. Pour autant, le taux de mortalité lié au cancer, lui, ne cesse de diminuer : d’après les dernières données de l’Inca publiées en 2024, il a baissé de 2,1 % chez l’homme et de 0,6 % chez la femme entre 2011 et 2021. Cela « résulte de diagnostics plus précoces et d’avancées thérapeutiques importantes pour les cancers les plus fréquents », déclare l’INCa dans son rapport. Parmi ces avancées thérapeutiques qui ont révolutionné la prise en charge des cancers, l’avènement des thérapies ciblées au tournant du XXIe siècle et, plus récemment, le développement de l’immunothérapie.
Mais certains cancers sont difficiles à traiter
Derrière ces chiffres, il existe de très grandes disparités. Si les pronostics des tumeurs de la prostate, du mélanome ou encore du cancer du sein se sont nettement améliorés, il reste des cancers associés à de mauvais pronostics : les cancers du poumon, du pancréas et du foie, par exemple, font encore partie des plus difficiles à traiter.
Une prise en charge pour tous les patients
Néanmoins, il n’existe aucun cancer sans traitement, et aucun malade n’est laissé sans prise en charge. De plus, il y a eu un développement des soins de support, des soins qui visent à assurer la meilleure qualité de vie possible pour les personnes malades, sur les plans physique, psychologique et social. Ainsi, tous les patients bénéficient aujourd’hui en France d’un accompagnement médical tout au long de leur parcours, y compris à la fin, avec les soins palliatifs.
Des cancers traitables mais non guérissables
Les cancers de mauvais pronostics, c’est-à-dire associés à des taux de survie à cinq ans qui peinent à dépasser les 30 %, sont très divers. Dans le monde anglosaxon, on parle de tumeurs « traitables mais non guérissables ». Il s’agit notamment de cancers difficiles à opérer comme certaines tumeurs du cerveau de type glioblastome ou des cancers affectant les tissus mous de type sarcome, mais aussi des cancers de l’ovaire, du poumon et de la sphère digestive. Pourquoi de telles difficultés à les soigner ? Les réponses sont multiples.
Le retard diagnostique
Certains cancers provoquent peu de symptômes ou des symptômes peu spécifiques. C’est le cas du cancer du pancréas. « Il est donc souvent diagnostiqué à un stade avancé avec, dans plus de la moitié des cas, des métastases déjà présentes. De telles circonstances, comme pour tout cancer, compliquent évidemment la prise en charge », explique le Pr Thierry Conroy, spécialiste des tumeurs digestives et directeur honoraire de l’Institut de Cancérologie de Lorraine.
Une résistance aux traitements
Tous les experts s'accordent sur ce point : les résistances aux traitements constituent aujourd'hui le principal facteur limitant la guérison des patients atteints de cancer. C’est aussi le cas des cancers du pancréas qui présentent la particularité d’être peu sensibles à la chimiothérapie et à l’immunothérapie : « Les tumeurs pancréatiques détournent les cellules de leur environnement pour créer une sorte de barrière dense et fibreuse, peu vascularisée, appelée « stroma ». Les médicaments administrés par voie générale peinent donc à parvenir jusqu’aux cellules cancéreuses », détaille le Pr Conroy.
L’hétérogénéité tumorale
L’ « hétérogénéité tumorale » entre également en ligne de compte. Ce terme désigne le fait que différentes cellules au sein d’une même tumeur présentent des profils distincts, notamment leur morphologie, la manière dont elles utilisent leurs gènes, leur métabolisme et leur potentiel de multiplication. Ainsi, les tumeurs avec une importante hétérogénéité ont tendance à développer rapidement des résistances aux traitements.
Les sous-types de cancers plus rares
Autres situations complexes, celles de certains sous-types de tumeurs, plutôt rares, comme les cancers du poumon à petites cellules, qui ne représentent que 15 % des cancers du poumon. Ou encore les cas de cancers du sein dits triple négatifs, qui représentent eux aussi environ 15 % des cancers du sein. " Ces triples négatifs se caractérisent par l’absence de récepteurs hormonaux et de la protéine HER2 à la surface de leurs cellules : on ne peut donc pas utiliser les thérapies ciblées qui ont été développées précisément contre ces molécules et qui ont permis d’améliorer considérablement le pronostic de la plupart des tumeurs mammaires depuis 30 ans », explique la Dre Barbara Pistilli, responsable du Comité pathologies mammaires à l’Institut Gustave Roussy (Val-de-Marne).
En outre, bien qu’elles soient sensibles à la chimiothérapie et à la radiothérapie, ces tumeurs ont elles aussi la capacité à développer rapidement des résistances contre ces thérapies.
Quelles sont les voies de recherche prometteuses des cancers incurables ?
Les anticorps conjugués, une révolution thérapeutique ?
Les nouvelles approches reposent sur l’utilisation d’anticorps, des protéines qui détectent et se lient à d’autres molécules de manière spécifique.
Tout récemment, deux médicaments d‘un nouveau genre ont relancé l’espoir contre ces cancers du sein triple négatifs : ce sont les anticorps conjugués, ou ADC (pour antibodydrug conjugates). Concrètement, ces anticorps portent à l’un de leurs bras un agent cytotoxique, c’est-à-dire une chimiothérapie et, grâce à leur autre bras, « ils se lient spécifiquement aux cellules cancéreuses pour leur délivrer cette chimiothérapie de façon ciblée », explique la Dre Pistilli. Par rapport à une chimiothérapie classique, « on a deux fois plus de patientes qui répondent au traitement avec ces ADC, et on arrive à doubler la durée de survie sans progression de la maladie. D’autres ADC sont à l’étude pour les patientes non-répondantes, mais aussi des combinaisons avec des immunothérapies », poursuit l’oncologue.
Cette piste des ADC est sans aucun doute l’une des plus prometteuses actuellement : une douzaine de molécules sont d’ores et déjà autorisées outre-Atlantique et en Europe et, tous cancers confondus, plusieurs centaines d’essais cliniques sont en cours dans le monde ! Certains experts n’hésitent d’ailleurs pas à qualifier les ADC de prochaine révolution thérapeutique.
Les anticorps bispécifiques
Autre approche intéressante mais plus discrète, les anticorps bispécifiques qui, en ciblant à la fois les cellules cancéreuses et les cellules immunitaires, sont capables de recruter ces dernières pour s’attaquer plus efficacement à la tumeur. Cette approche est déjà utilisée contre certains cancers du sang et à l’essai pour des tumeurs solides de mauvais pronostic. Pour le Pr Jean-Pierre Delord, oncologue et directeur de l’Oncopôle Claudius Regaud (Toulouse) : « s’appuyer sur le système immunitaire, comme on le fait déjà avec les immunothérapies, est très intéressant. Mais il reste encore de nombreuses questions en suspens, qui relèvent du domaine de la recherche fondamentale entre autres, notamment pourquoi certains patients y répondent très bien et d’autres, pas ? Comment identifier les antigènes (des molécules reconnues par un anticorps de manière spécifique) tumoraux les plus efficaces pour stimuler le système immunitaire ? »
Mieux comprendre les mécanismes de résistance
Comprendre pourquoi certains patients répondent ou non aux traitements est crucial. C’est le but de l’étude ROSALIND lancée en janvier 2024 par 6 hôpitaux internationaux, dont deux du réseau français Unicancer et Cure51, une entreprise française. Objectif : identifier la signature moléculaire de patients ayant survécu plus de cinq ans à un cancer métastatique du pancréas, à un glioblastome ou à un cancer du poumon à petites cellules étendu. Un programme qui s’inscrit plus globalement dans l’un des quatre objectifs majeurs fixés par le gouvernement dans sa stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030, à savoir « améliorer significativement la survie des cancers de plus mauvais pronostics ».
Cela passe aussi par la labellisation récente par l’INCa de réseaux de recherche d’excellence, l’un dédié aux cancers du poumon, l’autre aux cancers du pancréas.
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