Développer des biomarqueurs pour déterminer la résistance à l’immunothérapie dans les tumeurs pulmonaires
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L’immunothérapie, révolutionnaire dans le traitement des cancers, renforce les défenses naturelles du système immunitaire pour cibler et détruire les cellules tumorales. Des traitements innovants comme les inhibiteurs de checkpoints et les cellules CAR-T montrent des résultats prometteurs dans le cadre de plusieurs maladies cancéreuses.
La recherche explore de nouvelles cibles, l’impact du microbiote intestinal et des approches combinées pour élargir l’efficacité de ces thérapies, tout en limitant leurs effets secondaires.
Le nombre de patients traités par immunothérapie est en constante progression. L’Institut national du cancer (INCa) précise qu’en 2022, près de 75 000 patients ont bénéficié d’une immunothérapie de type anticheckpoint. Ces traitements font l’objet d’un intense développement clinique. Aujourd’hui, plus de 2 000 essais sont en cours dans le monde selon le registre américain des essais cliniques. D’ailleurs, contrairement aux idées reçues, l’immunothérapie est aussi utilisée pour traiter d’autres pathologies, comme les maladies cérébrales.
Jusqu’aux années 2010, les médecins avaient plusieurs stratégies de lutte contre le cancer : la chirurgie, la radiothérapie, la chimiothérapie et les thérapies ciblées. Dans tous ces cas, l’objectif du traitement est de détruire les cellules cancéreuses.
L’approche de l’immunothérapie est bien différente, puisqu’elle consiste à aider le système immunitaire à éliminer lui-même les cellules tumorales. En temps normal, les nombreux constituants du système immunitaire agissent contre les agents infectieux qui s’attaquent à l’organisme. Mais ils sont aussi en charge de repérer et détruire les cellules étrangères ou anormales, comme les cellules cancéreuses. Cependant, et bien souvent, leur action est trop faible ou trop lente pour endiguer la progression de la maladie.
Dans les années 1970, des chercheurs ont eu l’intuition de stimuler le système immunitaire de manière à le rendre plus efficace contre les cellules cancéreuses. Mais les résultats obtenus chez les malades n’étaient pas à la hauteur des espérances. Probablement parce que ces approches thérapeutiques n’étaient pas assez spécifiques. Depuis une vingtaine d’années, la recherche scientifique a révolutionné les techniques d’immunothérapie, qui montrent désormais des résultats de plus en plus prometteurs pour vaincre le cancer.
Une des réponses à l’immunothérapie réside dans la capacité des cellules tumorales à développer des stratégies d’évitement. Elles modifient par exemple l’expression de certains marqueurs à leur surface, qui seraient en temps normal reconnus par le système immunitaire. Elles expriment aussi des molécules autour d’elles pour détourner les cellules de défense. Ce microenvironnement tumoral est un aspect clé de la résistance des cancers, que les chercheurs tentent de décrypter pour mettre au point de nouvelles thérapies.
Au milieu des années 1990, James Allison et Tasuku Honjo, deux chercheurs ayant obtenu en 2018 le Prix Nobel pour leurs travaux, se sont intéressés aux lymphocytes T. Ces cellules immunitaires ont pour mission principale de reconnaître les cellules infectées ou les cellules anormales. Elles déclenchent alors toute une cascade de réactions immunitaires afin de détruire « l’ennemi ».
Les chercheurs ont découvert des mécanismes de blocage, appelés « checkpoints » ou « points de contrôle », qui empêchent les lymphocytes T de reconnaître les cellules cancéreuses ou qui perturbent cette reconnaissance. Il existe notamment différents récepteurs, comme CTLA-4 et PD-1 présents à la surface des lymphocytes, et PD-L1 présent à la surface des cellules cancéreuses, qui peuvent empêcher la réaction immunitaire anticancer.
L’idée des chercheurs a donc été de « déverrouiller ces freins » en mettant au point des molécules capables de bloquer ces points de contrôle. Ces molécules sont appelées « anticheckpoints » ou « inhibiteurs de checkpoints ». Parmi elles, on trouve des anticorps anti-CTLA-4, anti-PD-1 et anti-PD-L1. En bloquant l’activité des points de contrôle, la réponse immunitaire antitumorale est réactivée.
Dès 2010, un anticorps anti-CTLA-4 a été mis sur le marché, l’ipilimumab, en raison de sa capacité à guérir les mélanomes à un stade avancé et particulièrement résistants aux traitements classiques. Sont ensuite arrivés des anti-PD-1 comme le nivolumab, induisant une réponse durable chez un tiers des patients atteints de cancers de la peau ou de cancers du poumon. 6 médicaments anticheckpoints sont maintenant à disposition pour traiter une quinzaine de cancers différents.
Si les anticheckpoints sont la tête de pont de la révolution de l’immunothérapie, d’autres stratégies sont explorées pour aider le système immunitaire à lutter contre le cancer. Les cellules CAR-T, ou chimeric antigen receptor - T cell, constituent l’une des approches les plus prometteuses. L’idée est de prélever des lymphocytes T chez un malade, de les modifier génétiquement en laboratoire pour les rendre capables de reconnaître et détruire spécifiquement les cellules cancéreuses avant de les réadministrer au patient. Cette stratégie est essentiellement utilisée pour combattre certains cancers du sang, comme les leucémies ou les lymphomes. Mais de nombreuses recherches visent à développer la technique pour les tumeurs solides.
Certaines stratégies d’immunothérapie passent par la stimulation globale du système immunitaire afin de le pousser à lutter contre la tumeur. Elles se basent sur deux types de molécules immunitaires, des cytokines, produites naturellement par l’organisme : l’interféron alpha-2b et l’interleukine 2 (IL-2). À l’heure actuelle, ces thérapies posent plusieurs difficultés quant à leur mode d’administration et leur toxicité, que les chercheurs tentent de résoudre.
L’utilisation d’anticorps spécifiques de composantes de la tumeur, appelés anticorps monoclonaux, constitue une autre approche d’immunothérapie. Très spécifique, elle dépend du type de cancer et de son profil moléculaire, c’est-à-dire des protéines exprimées par la tumeur. L’objectif est ici de bloquer l’activité des cellules tumorales et de permettre au système immunitaire de les éliminer. Parmi les protéines ciblées, les principales sont HER2 pour le cancer du sein, EGFR pour le cancer colorectal et le cancer du poumon, et CD20 pour les cancers du sang. Les chercheurs travaillent sur le développement d’anticorps bispécifiques et d’anticorps conjugués pour améliorer ce type de stratégie thérapeutique.
Les vaccins thérapeutiques visent quant à eux à mobiliser le système immunitaire pour cibler spécifiquement les cellules cancéreuses en utilisant des antigènes tumoraux capables de déclencher une réponse immunitaire. Cette approche présente l’avantage de générer une mémoire immunitaire, réduisant ainsi théoriquement les risques de rechute. Un exemple commercialisé est le Sipuleucel-T, employé contre le cancer de la prostate. Ce traitement repose sur l’activation des cellules dendritiques du patient en laboratoire, en les exposant à un antigène tumoral spécifique de ce type de cancer : la phosphatase acide prostatique. Ces cellules sont ensuite réinjectées chez le patient pour stimuler sa réponse immunitaire contre les cellules tumorales.
Les immunothérapies ne sont efficaces que chez 30 % des patients. La première priorité des chercheurs est donc de mieux comprendre les mécanismes de l’immunité anticancer, pour améliorer l’efficacité des approches d’immunothérapie et en mettre au point de nouvelles. Des outils d’intelligence artificielle et des biomarqueurs sont développés pour divers cancers, comme le cancer du poumon, le cancer de la peau ou le cancer du rein, afin de prédire la réponse des patients et ainsi éviter une perte de temps avec des thérapies inefficaces. La question économique est aussi en jeu, car ces thérapies sont très coûteuses.
Du point de vue de la résistance aux traitements, la recherche est très active dans de nombreux types de cancers, comme le cancer de la vessie. Des scientifiques ont montré que l’absence d’une molécule, CD226, à la surface des cellules immunitaires en charge de détruire la tumeur, est associée à une résistance à l’immunothérapie. Dans le cas du cancer du rein, c’est une autre molécule associée aux lymphocytes T tueurs, CD27, qui a été mise en évidence pour son rôle dans la résistance. Cette molécule se lie avec la protéine CD70 exprimée par les cellules tumorales, ce qui a pour conséquence la mort des lymphocytes T.
De nombreuses recherches sont en cours pour améliorer l’efficacité des anticheckpoints, les utiliser en combinaison avec d’autres traitements, et en développer de nouveaux. Plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer pourquoi les anticheckpoints ne fonctionnent pas chez tous les patients. Tout d’abord, toutes les cellules cancéreuses ne présentent pas des récepteurs PD-L1 à leur surface, ce qui limite l’efficacité des traitements. De plus, les chercheurs ne pensent pas avoir isolé tous les checkpoints bloquant les cellules du système immunitaire. D’autres checkpoints comme LAG-3, TIGIT ou NKG2A sont de plus en plus étudiés pour leur potentiel immunothérapeutique.
Une autre piste d’explication réside dans la quantité d’antigènes tumoraux, les molécules particulières exprimées à la surface des cellules cancéreuses. En effet, plus une cellule cancéreuse présente d’antigènes et plus elle a de chances de stimuler le système immunitaire. Les cancers du poumon et les mélanomes expriment beaucoup d’antigènes tumoraux : les chercheurs pensent que c’est probablement pour cela que les anticheckpoints donnent des résultats spectaculaires. Identifier de nouveaux antigènes tumoraux et comprendre leur dynamique constitue donc un enjeu fort de la recherche sur l’immunothérapie.
Le phénomène de « tumeurs froides » pourrait également intervenir dans le manque d’efficacité des anticheckpoints chez certains patients. Des cancers sont en effet associés à de très faibles taux de lymphocytes T et ne déclenchent pas d’inflammation locale. Les chercheurs essaient de saisir pourquoi.
Le comportement des anticorps et des cellules immunitaires utilisés en immunothérapie, au niveau de la tumeur, représente également une voie d’étude importante. Les chercheurs s’intéressent à d’autres cellules que les lymphocytes T CD8 tueurs de tumeurs, comme les lymphocytes T CD4 et les lymphocytes Natural Killer (NK), qui pourraient aussi contribuer aux processus immunitaires permettant la destruction des cellules cancéreuses. Ils développent des anticorps trispécifiques pour activer les cellules NK et les rapprocher de la tumeur pour mieux la détruire, ainsi que des cellules CAR-NK, sur le même principe que les cellules CAR-T.
Des approches visant à soutenir le système immunitaire d’une manière plus globale pour renforcer l’impact des immunothérapies sont aussi en cours d’évaluation. La piste d’un nouveau vaccin est par exemple envisagée. Par ailleurs, à la suite de la découverte de vaisseaux sanguins contribuant à l’afflux de globules blancs au niveau de la tumeur, les chercheurs travaillent sur des traitements visant à en augmenter le nombre et ainsi, à renforcer l’efficacité des immunothérapies. Enfin, une équipe a récemment mis au jour un nouveau médicament, cGAMP-VLP, capable de stimuler un système biologique accélérant la réponse aux traitements.
Le microbiote intestinal fait l’objet d’une attention particulière. Composé des milliers de milliards de bactéries qui peuplent naturellement nos intestins, il joue un rôle essentiel pour notre santé, en participant notamment au bon fonctionnement de notre système immunitaire. Des chercheurs ont montré que la composition du microbiote intestinal chez des patients atteints de mélanome permet de déterminer ceux qui répondront le plus efficacement à une immunothérapie de type anti-CTLA-4 et ceux qui présenteront les effets secondaires digestifs les plus sévères. Très récemment, un probiotique a montré de premiers résultats d’efficacité pour améliorer la réponse à l’immunothérapie dans le cancer du rein. On peut ainsi penser que manipuler la composition du microbiote intestinal des patients pourrait constituer une voie intéressante pour élargir l’utilisation de l’immunothérapie.
Les effets secondaires de l’immunothérapie sont en général plus rares et surtout très différents de ceux des thérapies anticancer conventionnelles. Il peut s’agir d’une fatigue générale accompagnée d’un syndrome grippal avec fièvres et courbatures, d’éruptions cutanées, de légères diarrhées et éventuellement d’une perturbation du fonctionnement de la thyroïde. Plus rarement, les patients peuvent développer des pathologies inflammatoires sévères comme des pneumopathies, des colites et des hépatites, ou des symptômes auto-immuns. Les chercheurs tentent de comprendre les facteurs de risque de toxicité de ces immunothérapies afin de mettre au point des moyens de les atténuer, notamment en rendant les traitements plus spécifiques.
En parallèle de l’ensemble de ces activités, les chercheurs s’évertuent toujours et encore à mettre au jour de nouveaux mécanismes à cibler afin de développer de nouvelles immunothérapies contre le cancer. Dans le cas du cancer du sein « triple négatif », la découverte du rôle de la cathepsine D dans l’agressivité de la maladie en a fait une cible de choix pour la mise au point de traitements. Les premiers résultats obtenus chez l’animal ont été positifs et se poursuivent aujourd’hui. Une démarche similaire a été menée dans le cadre du cancer du foie, en ciblant une protéine à la surface des cellules, DDP4, pour augmenter l’afflux de cellules immunitaires directement sur le site de la tumeur.
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